Port obligatoire d’un masque sur le territoire communal : le point de vue du juge des référés du Conseil d’Etat

 Dans Droit des Collectivités Locales

A la demande de la Ligue des droits de l’homme, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait ordonné le 9 avril 2020 la suspension de l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020 par lequel le maire de Sceaux avait subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal.

La commune de Sceaux demandait au juge des référés du Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance et de rejeter la demande présentée par la Ligue des droits de l’homme devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Il ressort de l’ordonnance n° 440057 du 17 avril 2020 du juge des référés du Conseil d’Etat que :

  • saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ; la liberté d’aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui, constituent des libertés fondamentales ;
  • le législateur a institué une police spéciale donnant au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et au représentant de l’Etat dans les départements la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation ;
  • le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, est habilité pour prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements;
  • en revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ;
  • ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l’épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection. L’édiction, par un maire, d’une telle interdiction, à une date où l’Etat est, en raison d’un contexte qui demeure très contraint, amené à fixer des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2 et à ne pas imposer, de manière générale, le port d’autres types de masques de protection, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes. En laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités ; les conditions n’étaient donc manifestement pas réunies selon le juge des référés du Conseil d’Etat pour que le maire de Sceaux puisse légalement édicter une telle interdiction sur le fondement de son pouvoir de police générale, quand bien même la commune aurait mis en œuvre diverses mesures pour que tous ses habitants puissent, à terme rapproché, disposer d’un masque de protection, dès lors que l’arrêté contesté est susceptible de concerner des personnes ne résidant pas dans la commune mais devant s’y déplacer ;
  • l’arrêté contesté portant une atteinte immédiate à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle des personnes appelées à se déplacer sur le territoire de la commune de Sceaux et aucun intérêt public suffisant ne s’attachant à son maintien, la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est, par suite, remplie et la requête de la commune de Sceaux rejetée.
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