Pratique des trois devis et mise en concurrence
1.
Aux termes de l’article L. 3 du code de la commande publique, la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique ne peut être conditionnée par le code de la commande publique, ce qui est assez logique dès lors que ce principe a une valeur constitutionnelle.
C’est la clé de voûte d’une procédure de mise en concurrence.
En revanche les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures sont eux mis en œuvre dans les conditions définies dans le code. Quand bien même la liberté est un principe constitutionnel, elle n’est pas absolue et le législateur est en effet habilité à la restreindre, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
Ces trois principes ont pour objectif d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.
A ce stade, la question qui peut être posée est celle de savoir si un acheteur public peut effectuer des achats efficaces et bien utiliser les deniers publics sans respecter ces trois principes.
2.
Le législateur a défini la procédure adaptée à l’article L.2123-1 du code de la commande publique comme « la procédure par laquelle l’acheteur définit librement les modalités de passation du marché, dans le respect des principes de la commande publique et des dispositions du présent livre, à l’exception de celles relatives à des obligations inhérentes à un achat selon une procédure formalisée ».
Si les mots ont un sens, une procédure est un enchaînement formalisé de différentes actions ayant un objectif, en l’occurrence la signature d’un contrat. Cette procédure ne peut pas se limiter à la signature du marché ; ce ne serait pas alors une procédure mais un acte unique.
Cette procédure, et donc ces différentes phases ou modalités de passation, sont librement définies. Mais cette liberté est toutefois doublement encadrée ; elle est d’une part définie « en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d’y répondre ainsi que des circonstances de l’achat » selon l’article R.2123-4 du code, et doit d’autre part respecter les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Ces principes sont consubstantiels à la mise en concurrence. Une procédure de mise en concurrence ne peut se concevoir sans respect de ces principes et ces principes ne peuvent trouver à s’appliquer que lorsque la consultation n’est pas légalement restreinte à un opérateur économique unique.
Cette procédure adaptée est donc une procédure de mise en concurrence.
3.
Par l’article L.2122-1 du code de la commande publique, le législateur a autorisé les acheteurs publics à passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d’État lorsque en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ou à un motif d’intérêt général.
4.
L’article 142 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique disposait que les acheteurs pouvaient conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée était inférieure à 100 000 euros hors taxes, à condition de veiller à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.
Dans un arrêt du 07 février 2025, n°24NT00896, au vu des articles L. 2123-1 et R. 2123-4 du code de la commande publique et des dispositions de l’article 142 précités, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que le fait pour un maire de solliciter successivement de trois opérateurs économiques un devis pour effectuer des travaux de voirie, qu’il a ensuite soumis au conseil municipal, n’impliquait pas que la commune ait entendu se placer dans le cadre d’une procédure adaptée impliquant une mise en concurrence.
Autrement dit, la Cour considère que la commune n’a pas eu l’intention (ni explicite, ni implicite) de conduire une procédure adaptée et n’avait donc pas à respecter les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, inhérents à toute mise en concurrence.
Cette appréciation apparaît étonnante.
L’intention résulte-t-elle de la définition de critères de choix des offres portés à la connaissance des candidats ou de la consultation de plus d’un opérateur économique et du choix de l’une de ces offres, nécessairement sur la base de critères, en l’occurrence non portés à la connaissance des candidats ?
A la lecture de l’article L.2123-1 du code de la commande publique, la procédure adaptée ne se définit pas seulement à l’aune de l’intention explicite de l’acheteur, mais aussi de ses actes, qui peuvent révéler une intention implicite.
En l’occurrence, la commune a bien conduit une procédure en trois temps : consultation restreinte du marché, sélection d’une offre nécessairement sur la base de critères de choix non portés à la connaissance des candidats, et signature d’un marché.
Par ailleurs, au regard de l’article L2122-1 précité du code de la commande publique, il n’apparaît pas que le respect d’une procédure de mise en concurrence, fût-elle adaptée, était inutile puisque le maire a suscité trois offres. La Cour n’était toutefois pas saisie de ce moyen.
5.
Comment dès lors conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes, tout en veillant, en l’état actuel du texte, à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ?
En suscitant non pas des offres mais une offre ? Susciter des offres induit immanquablement une mise en concurrence.
Cela suppose préalablement :
– de définir son besoin,
– d’identifier un opérateur économique (par connaissance, par expérience d’un précédent marché, par consultations ou réalisation d’études de marché ou sollicitation d’avis sans pour autant fausser la concurrence ou méconnaître les principes mentionnés à l’article L. 3 ! ) dont l’acheteur public aura pu vérifier :
- qu’aucun motif ne pourrait justifier son exclusion de la passation du marché en cause,
- l’aptitude à exercer l’activité professionnelle,
- la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l’exécution du marché.
Et en négociant le cas échéant cette offre, de manière à s’assurer (veiller) qu’elle est pertinente (au regard du besoin préalablement défini et des crédits budgétaires) et que les deniers publics seront bien utilisés.
P.S. sur la base du titre de cet article ChaTGPT (que j’ai saisi après avoir finalisé cet article) répond notamment (je souligne) : « La pratique des trois devis est courante pour les marchés de faible montant, notamment dans le cadre des marchés publics passés selon une procédure adaptée (MAPA). (…) L’objectif de cette pratique est de garantir une certaine concurrence (…). Les trois devis sont une manière de garantir la mise en concurrence dans un cadre simplifié. Toutefois, même dans ce cas, il faut veiller à respecter les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats. (…) Demander trois devis, bien que simplifié, reste une forme de mise en concurrence. (…). Cependant, cela doit être fait dans un cadre transparent, où les critères de sélection sont clairs et non discriminatoires. (…) La mise en concurrence doit toujours respecter les principes du droit de la commande publique, même dans le cadre des trois devis. Cela signifie que les critères de sélection doivent être objectifs et que toutes les entreprises sollicitées doivent avoir des chances égales de répondre. Les offres doivent être comparées de manière juste, et aucune entreprise ne doit être avantagée de manière injustifiée. (…) »