Marchés publics et hausse des prix de certaines matières premières

 Dans Droit des Collectivités Locales, Entreprise, Marchés publics

Nombre d’acheteurs publics sont aujourd’hui sollicités par les titulaires de marchés publics pour modifier, par avenant, le prix ou la formule de révision du prix initialement convenu, ou pour mettre en œuvre la théorie de l’imprévision.

Nul ne conteste les difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontés les opérateurs économiques, et les acheteurs publics pourraient être tentés d’accéder de bonne foi à leurs demandes.

Nombre des marchés en cause ayant été conclus au terme d’une mise en concurrence, leur modification est toutefois strictement encadrée par le code de la commande publique et les articles 432-14, 432-17, 321-1 et 321-9 4° du code pénal relatifs aux délits d’octroi d’avantage injustifié (délit de favoritisme) et de recel.

 

1 – L’impossible modification du prix définitif ou de la formule de révision du prix initialement convenu

 

Sauf clause de réexamen, le prix définitif convenu est en effet intangible (CE, 2 novembre 1975, n°93297), ainsi que la formule de révision du prix.

Le principe de l’intangibilité du prix et de la formule de révision du prix est fondé sur la force obligatoire de tout contrat et sur les règles de mise en concurrence, auxquelles porterait atteinte cette modification, « la forme et le régime des prix jouant un rôle déterminant dans l’établissement des offres » (QE, Fabrice VERDIER, n°49419, JOAN, 01 avril 2014).

Ainsi que le rappelle le Premier ministre dans la circulaire n°6338/SG du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières, l’article R. 2194-5 du code de la commande publique ne peut pas fonder, contrairement à ce que soutiennent certains opérateurs économiques, la modification du prix par voie d’avenant lorsque cette modification du prix n’est pas liée, autrement dit n’est pas la conséquence, d’une modification légale du périmètre, des quantités, des spécifications ou des conditions d’exécution du marché.

 

2 – La théorie de l’imprévision (CE, 30 mars 1916, n°59928 et article L.6 3° du code de la commande publique) et sa difficile mise en œuvre

 

Les opérateurs économiques peuvent toutefois solliciter de l’acheteur public l’indemnisation de charges extracontractuelles, lorsque l’augmentation du coût de revient des travaux, fournitures ou services entraîne un « bouleversement de l’économie du contrat ».

Le bouleversement doit être temporaire, après application le cas échéant de la formule de révision des prix, résulter de circonstances imprévisibles dans leur nature (CE, 12 juin 1987, n°30060) ou leur ampleur et être extérieur aux parties, ce qui est discutable lorsqu’aucune clause de révision des prix n’a été prévue ou a été mal rédigée.

Dès lors que le bouleversement serait définitif et irrésistible, l’opérateur économique pourrait solliciter la résiliation du marché sur le fondement de la force majeure (CE, 9 décembre 1932, n°89655).

Le juge administratif n’a pas fixé de seuil unique au-delà duquel le bouleversement serait acté. Dans la circulaire précitée, le Premier ministre retient un seuil de l’ordre de 7 %. Il ne serait pas erroné de prendre appui sur les seuils de 10 % pour les marchés de fournitures et de services et de 15 % pour les marchés de travaux, retenus à l’article R. 2194-8 du code de la commande publique.

La compensation n’est par ailleurs pas totale et revêt un caractère provisionnel, à valoir sur l’indemnité définitive, calculée au terme du marché.

L’indemnité ayant pour objet de couvrir des charges extracontractuelles, c’est-à-dire des charges non prises en compte lors de la remise de l’offre, elle ne couvre pas la marge pour aléa ou pour bénéfice, perdue.

Autrement dit, ce que l’acheteur public doit pouvoir apprécier, ce n’est pas tant la hausse du prix de vente des travaux, des fournitures ou des services, que celle du coût de revient de ces derniers.

Après analyse au cas par cas, l’acheteur public pourra proposer une indemnisation comprise entre 75 et 90 % de la charge extracontractuelle, laissant à l’opérateur économique la charge d’un aléa normal.

Les principes posés, la mise en œuvre suppose que l’acheteur public soit en capacité de procéder à l’analyse de la situation. Cela nécessite du titulaire du marché qu’il lui communique des données comptables analytiques, certifiées par un expert-comptable, établissant la structure du coût de revient des travaux, fournitures ou services, sur la base de laquelle a été établi le prix initial, son évolution mensuelle ou trimestrielle, le coût de revient de ces travaux, fournitures ou services, les marges pour risques et bénéfices initiales, et leur évolution mensuelle ou trimestrielle, nets de tout soutien public (État, Région, Département) pour les mêmes fins.

A défaut de production de ces pièces justificatives certifiées par un expert-comptable, l’acheteur public ne sera pas en capacité d’apprécier le bien-fondé de la demande d’indemnisation, et pourrait prendre une décision d’indemnisation irrégulière.

 

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