Etat d’urgence sanitaire et responsabilité pénale des personnes physiques : rien de nouveau !

 Dans Droit des affaires, Droit des Collectivités Locales, Droit pénal

La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions a été publiée ce jour 12 mai 2020 au Journal officiel.

Dans le contexte très incertain de la lutte contre le covid-19, les sénateurs avaient souhaité clarifier le cadre juridique de la responsabilité pénale des personnes physiques, notamment des maires et des chefs d’entreprise, pour des faits non-intentionnels qu’ils pourraient commettre, indirectement à l’origine d’une contamination par exemple.

 

1. Le II de l’article 1 du projet de loi adopté par les sénateurs était ainsi amendé :

Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis :

1° Intentionnellement ;

2° Par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique ;

3° Ou en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application du même chapitre ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Dans le cas prévu au 2° du présent II, les troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal sont applicables.

 

2. Le Gouvernement n’était pas favorable à ce texte dérogatoire au droit commun, défini par l’article 121-3 du code pénal, issu de la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000, dite « Fauchon » :

Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Il n’y a point de contravention en cas de force majeure.

Le Gouvernement considérait en premier lieu que le texte proposé par les sénateurs tendait à supprimer la faute caractérisée de l’article 121-3 du code pénal, ce qui pouvait donner l’impression que les décideurs publics seraient irresponsables.

Le Gouvernement craignait en deuxième lieu une rupture d’égalité d’égalité des citoyens devant la loi selon que les faits incriminés, liés à l’épidémie, étaient commis avant ou pendant l’état d’urgence sanitaire.

En troisième lieu, le Gouvernement considérait que cette rédaction pouvait conduire à poursuivre un préfet pour imprudence ou négligence, alors qu’un maire ne pourrait l’être qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative.

 

3. L’Assemblée nationale avait pour sa part adopté le texte suivant :

Avant le dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

Pour l’application des troisième et quatrième alinéas, il est tenu compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits.

Mais comment définir l’état des connaissances scientifiques ?

 

4. La commission mixte paritaire a finalement rédigé le texte suivant, adopté par le Parlement :

Le chapitre VI du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article ainsi rédigé :

Art. L. 3136-2. – L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur.

Cette rédaction ne me semble pas apporter de garanties supplémentaires pour ces derniers, du moins quant à l’application des alinéas 3 et 4 de l’article 121-3 du code pénal, qui intègrent déjà cette obligation d’appréciation in concreto pour le juge.

C’est d’ailleurs ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel au point 13 de sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 :

13. Les dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative. Dans la mesure où elles ne contreviennent à aucune autre exigence constitutionnelle, elles sont donc conformes à la Constitution.

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