Emprunts toxiques et commune ayant la qualité d’emprunteur averti
Les faits
La société Dexia crédit local a consenti des prêts dits toxiques à la commune de Saint-Leu-La-Forêt pour financer la réalisation ou la rénovation d’équipements communaux.
Les contrats stipulaient que, pendant une première phase de près de quatre ans pour le premier prêt et de deux ans pour le second, les intérêts seraient calculés par application d’un taux fixe, qu’ensuite, dans l’hypothèse où, pendant une deuxième phase de seize ans pour le premier prêt et de vingt ans pour le second, le cours de l’euro en franc suisse serait inférieur au cours pivot de 1,45 franc suisse pour 1 euro, les intérêts seraient calculés par application d’un taux variable composé de la somme d’un taux fixe et de 50 % du taux de variation du cours de change de l’euro en franc suisse, qu’enfin, pendant la durée résiduelle du contrat, les intérêts seraient, de nouveau, calculés par application du taux fixe applicable à la première phase.
Estimant avoir été exposée à des risques importants en raison de la nature spéculative de ces prêts, la commune a assigné la société Dexia en annulation des deux contrats, en paiement de dommages-intérêts et en annulation de la clause d’intérêts convenue dans le contrat de prêt de 2010 en raison des irrégularités affectant, selon elle, la mention du taux effectif global, nonobstant la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, laquelle portait atteinte selon elle à un intérêt juridiquement protégé par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier Protocole additionnel, et devait donc être écartée.
La commune échoue à convaincre les juges de première instance et d’appel et se pourvoit en cassation.
L’argumentation de la commune et la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
La commune fait en premier lieu grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles de rejeter sa demande tendant à ce que les contrats soient annulés en raison de leur caractère spéculatif et pour avoir été conclus par le maire hors de son champ de compétence et, en conséquence, de l’avoir condamnée à payer les impayés du contrat de prêt souscrit le 23 mars 2010, majorés des intérêts de retard.
La Cour de cassation considère pour sa part que, si le taux d’intérêt de la deuxième phase de remboursement des prêts n’était pas fixé au moment de la signature des contrats, le mode de calcul de ce taux variable était précisément défini et les engagements des parties étaient ainsi été définitivement fixés lors de la conclusion des contrats litigieux, sans qu’une nouvelle manifestation de volonté de leur part ne soit requise ; la cour d’appel en a déduit à bon droit que ces contrats n’incorporaient pas des contrats d’option.
Quand bien même les contrats de prêts litigieux comportaient un aléa, consistant en l’application, pour la deuxième phase de remboursement, d’un taux variable calculé en fonction du taux de variation du cours du change de l’euro en franc suisse, ils ne constituaient pas, pour autant, des contrats spéculatifs puisque, en les souscrivant, la commune n’avait pas cherché à s’enrichir mais seulement à refinancer des investissements réalisés dans l’intérêt général à des conditions de taux d’intérêt les plus avantageuses possibles.
La commune faisait en deuxième et troisième lieu grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles de rejeter ses demandes tendant à ce que soit reconnue la responsabilité de la banque Dexia en tant qu’établissement dispensateur de crédit et en qualité de prestataire de services d’investissement, dans l’octroi des deux prêts spéculatifs.
La Cour de cassation considère pour sa part que la commune était un emprunteur « averti » lors de la souscription des emprunts, pour les motifs suivants :
- la commune était d’une certaine importance puisqu’elle comptait quinze mille habitants ;
- elle avait eu recours, depuis plus de trente ans, à une vingtaine d’emprunts auprès de différents établissements bancaires ;
- à fin 2010, le montant total des emprunts de la commune représentait une somme de 15,53 millions d’euros dont 6,154 souscrits auprès de la société Dexia ;
- la commune avait souscrit plusieurs emprunts à taux variable représentant 40 % de la totalité de son endettement ;
- en 2010, son maire était diplômé de sciences de gestion et trésorier de l’Association des maires d’Ile-de-France ;
- au surplus, en 2010 comme en 2007, elle disposait d’une commission des finances composée de dix membres ;
- l’extrait du registre des délibérations du conseil municipal du 17 décembre 2009 portait mention de l’autorisation donnée au maire « de procéder…. aux opérations financières utiles à la gestion des emprunts, y compris les opérations de couverture des risques de taux de change…. » ;
- la commune développait une politique active de gestion de sa dette, y compris en souscrivant des emprunts à taux variable et ne pouvait donc pas ignorer l’existence d’un risque.
Cass. com, 28 mars 2018, n°16-26.210