Annulation d’un marché public pour absence d’habilitation à délivrer des consultations juridiques

 Dans Marchés publics

La Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 15 février 2019, n°18NT02067) confirme un jugement en date du 21 mars 2018 par lequel le Tribunal administratif de Nantes avait annulé, à la demande du Conseil National des Barreaux (CNB), un marché public d’assistance à maîtrise d’ouvrage portant sur des prestations de services juridiques, attribué par la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen à la société Antea Group intervenant en sous-traitance avec le cabinet d’avocats de Castelnau (TA Nantes, 21 mars 2018, n°1508103).

 

Les faits
En vue de la passation d’un marché public portant sur la collecte, le transport et le traitement des déchets issus de cinq déchetteries et d’un point de collecte, la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen avait lancé une procédure de consultation portant sur une prestation d’assistance technique, juridique, administrative et financière. Le marché avait été attribué à un consultant, mais résilié à la demande du CNB au motif que l’article 2.5 du règlement de la consultation avait été méconnu dès lors que le candidat retenu ne justifiait pas respecter les dispositions de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

La communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen avait alors entrepris une seconde consultation, selon la procédure adaptée de l’article 28 du code des marchés publics, qu’elle avait intitulé «demande de devis». Cette nouvelle consultation avait recueilli les offres de trois candidats et, par un acte d’engagement du 18 août 2015, le marché avait été attribué à la société Antea Group qui s’était adjoint les services du cabinet d’avocats de Castelnau .

Par un courrier du 3 juillet 2015, le Conseil National des Barreaux avait de nouveau informé le président de la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen de l’irrégularité du marché pour avoir retenu la société Antea Group, en ce qu’elle n’était pas un professionnel du droit et ne justifiait pas disposer d’un agrément l’autorisant à délivrer des consultations juridiques.

 

Procédure en appel

La communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen soutenait en appel et notamment que :

  • la procédure d’attribution du marché litigieux avait été parfaitement régulière au regard notamment du respect des dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relatives à l’exercice des prestations juridiques et des règles déontologiques de la profession d’avocat dès lors que l’offre et la présentation de celle-ci avaient été faites sous la forme d’un groupement réunissant la société Antea Group et le cabinet d’avocats de Castelnau ;
  • l’annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l’intérêt général.

Le Conseil National des Barreaux soutenait pour sa part et notamment que :

  • la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen ne pouvait légalement conclure un contrat avec la société Antea Group pour réaliser pour son compte des prestations de nature juridique, y compris à titre accessoire, dès lors que cette société n’était pas un professionnel du droit au sens des dispositions des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971 ni ne disposait d’aucun agrément l’autorisant à délivrer des consultations juridiques à titre accessoire relevant directement de son activité principale ;
  • la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen s’était livrée à des manœuvres frauduleuses postérieures à la date limite de remise des candidatures et des offres pour tenter de régulariser la candidature et l’offre de la société Antea Group qui, du fait de son caractère irrégulier, ne pouvait être régularisée postérieurement à l’attribution du marché et l’information des candidats évincés.

La Cour administrative d’appel de Nantes a considéré qu’aux termes du 4° du II de l’article 30 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable à la date de signature du contrat en litige : « Le pouvoir adjudicateur veille au respect des principes déontologiques et des réglementations applicables, le cas échéant, aux professions concernées« . En outre, aux termes du III de l’article 45 du même code alors en vigueur : « Pour justifier de ses capacités professionnelles, techniques et financières, le candidat, même s’il s’agit d’un groupement, peut demander que soient également prises en compte les capacités professionnelles, techniques et financières d’autres opérateurs économiques, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre ces opérateurs et lui. Dans ce cas, il justifie des capacités de ce ou ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu’il en disposera pour l’exécution du marché (…)« . Par ailleurs, l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée dispose :  » Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : 1° S’il n’est titulaire d’une licence en droit ou s’il ne justifie, à défaut, d’une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière juridique qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l’article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l’article 60, elle résulte de l’agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, pris après avis d’une commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d’expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci « . Enfin, aux termes de l’article 60 de la même loi :  » Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’État ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité. « .

Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, il résulte de ces dispositions « qu’il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public portant sur des activités dont l’exercice est réglementé, de s’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Tel est le cas des consultations juridiques et de la rédaction d’actes sous seing privé qui ne peuvent être effectuées à titre habituel que par les professionnels mentionnés par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971. Toutefois, lorsque les prestations qui font l’objet du marché n’entrent qu’en partie seulement dans le champ d’activités réglementées, l’article 45 du code des marchés publics autorise les opérateurs économiques à présenter leur candidature et leur offre sous la forme d’un groupement conjoint, dans le cadre duquel l’un des cotraitants possède les qualifications requises. Ainsi, pour un marché relatif à des prestations ne portant que partiellement sur des consultations juridiques ou la rédaction d’actes sous seing privé, il est loisible à un opérateur économique ne possédant pas ces qualifications de s’adjoindre, dans le cadre d’un groupement conjoint, en tant que cotraitant, le concours d’un professionnel du droit, à la condition que la répartition des tâches entre les membres du groupement n’implique pas que celui ou ceux d’entre eux qui n’a pas cette qualité soit nécessairement conduit à effectuer des prestations relevant de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971″.

En l’espèce, le règlement de la consultation relative au marché en litige prévoyait que le titulaire de ce marché se verrait confier « l’établissement du dossier de consultation des entreprises (assistance au choix de la procédure de passation, rédaction de l’avis d’appel public à la concurrence, du règlement de la consultation, du CCAP…) et assurerait une mission d’assistance à l’analyse des candidatures et des offres et d’assistance à la négociation et à la mise au point du marché« . L’article 2.5 de ce même règlement indiquait que : « Pour l’exécution des prestations juridiques, le candidat devra être en mesure de justifier qu’il respecte les dispositions de l’article 54 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques par l’un des moyens suivants : – disposer en interne de la compétence juridique appropriée à la consultation et à la rédaction d’actes juridiques ; – ou répondre en groupement d’entreprises avec une structure disposant de la compétence précitée« . Son article 2.5.1 précisait enfin que : « Les prestations juridiques couvertes par les dispositions de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ne doivent pas faire l’objet d’un contrat de sous-traité« . Il en résulte selon la Cour administrative d’appel de Nantes que le marché conclu entre la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen et la société Antea Group portait essentiellement sur des prestations d’assistance juridique et de rédaction de documents contractuels.

Au terme de l’instruction du dossier à laquelle elle a procédé, la Cour administrative d’appel de Nantes constate que la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen a informé dès le 18 juin 2015 l’un des candidats évincés du rejet de son offre et de ce que le marché avait été attribué à la société Antea Group. Or, si l’offre de cette dernière proposait en son point 4.4 intitulé « validation juridique » l’assistance du cabinet d’avocats de Castelnau pour procéder à une relecture juridique de l’ensemble des pièces du dossier de consultation des entreprises et du rapport d’analyse des offres du marché, il ressortait des termes de cette même offre, dont la fiche synthétique n’avait été au demeurant signée que par un représentant de la société Antea Group, que cette dernière s’engageait seule à accompagner la communauté de communes jusqu’au terme de la procédure de passation du marché en l’assistant notamment dans la mise au point et la rédaction de l’ensemble des dispositions contractuelles et dans la négociation avec le candidat retenu.

La Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que dans ces conditions, et même si, postérieurement à la décision d’attribution du marché litigieux intervenue au plus tard le 18 juin 2015, d’une part une lettre de candidature avait été présentée par un groupement conjoint constitué de la société Antéa France et du cabinet d’avocats de Castelnau, co-signataires de cette lettre respectivement les 31 juillet 2015 et 6 août 2015, et d’autre part, un acte d’engagement du 18 août 2015 avait attribué le marché à ce groupement conjoint, le marché ne pouvait être regardé comme ayant été attribué à un tel groupement conjoint associant, en qualité de co-traitants, la société Antea Group, qui ne possédait pas les qualifications requises pour effectuer des prestations juridiques entrant dans le champ d’application de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, et le cabinet d’avocats de Castelnau.

Le marché attribué par la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen, en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971, reposait donc sur une cause illicite résultant du choix même du cocontractant. Par suite, et dès lors que l’annulation du contrat en litige, pour ce motif, ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, c’est à bon droit que le Tribunal administratif de Nantes avait prononcé son annulation.

 

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