« Barème Macron » suite : premières décisions de Cours d’Appel
Fin du suspense, en réponse aux demandes d’avis des Conseils de Prud’hommes de Louviers et Toulouse, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a affirmé, par deux avis du 17 juillet 2019, la compatibilité du barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse avec plusieurs normes européennes et internationales du travail (Cass. Avis, 17 juillet 2019, n°15012 PBRI – Cass. Avis, 17 juillet 2019, n°15013 PBRI).
De nombreux Conseils de Prud’hommes en France (Troyes, Amiens, Lyon, Grenoble, Angers…) se sont affranchis du barème mis en place par une des Ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017, au motif que ce barème ne permettrait pas une indemnité adéquate, notamment pour les salariés disposant d’une faible ancienneté, ce qui serait contraire à certains textes internationaux.
Les Conseils de Prud’hommes et les Cours d’Appel sont-ils tenus par les avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 ?
Non, ils ne le sont pas juridiquement. Pas même ceux qui ont actionné cette procédure. Il est en effet interdit aux juges de rendre des arrêts dits de règlement, qui les feraient participer à la fonction législative ou réglementaire par l’édiction d’une norme générale et impersonnelle.
Mais si les juges du fond ne suivent pas cet avis, ils encourent la cassation, puisqu’il est très probable qu’en cas de pourvoi la chambre sociale de la Cour de cassation ne dévie pas de la ligne tracée par la formation plénière de la Cour de cassation, cette dernière étant tenue d’avoir une jurisprudence stable et uniforme.
L’avis rendu par la Cour de cassation a donc une portée quelque peu paradoxale : son autorité jurisprudentielle est considérable en raison de la formation éminente dont il émane, très supérieure à celle des réponses ministérielles et des circulaires administratives par exemple, mais sa portée juridique est limitée.
S’il y a peu de risque que la Cour de cassation fasse machine arrière, la question est de savoir si les juges du fond vont massivement se rallier aux avis rendus (par conviction ou par peur du risque de cassation) ou s’ils vont entrer en résistance, pour des raisons plus idéologiques que juridiques.
Le début d’une fronde des juges du fond contre la Cour de cassation ?
Plusieurs Conseils de Prud’hommes ont fait savoir qu’ils ne partageaient pas l’avis de la Cour de cassation.
Dès les 22 et 29 juillet 2019, les Conseils de Prud’hommes de Grenoble et Troyes, en départage, ont écarté l’application du barème (tout en octroyant finalement, à Troyes, une indemnité inférieure au barème …)
Le Conseil de Prud’hommes de Grenoble a choisi quant à lui, d’opérer un contrôle in concreto en contestant, non plus le barème en lui-même, mais l’application qui en est faite dans un cas particulier.
Les arrêts rendus par les Cours d’appel sur le sujet étaient donc attendus avec intérêt.
Deux Cours d’appel se sont prononcées récemment :
- La Cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019 ;
- La Cour d’appel de Paris le 18 septembre 2019, et surtout le 30 octobre 2019.
La Cour d’appel de Reims, dans un arrêt comportant une motivation approfondie, du 25 septembre 2019, a jugé comme la Cour de cassation que le barème est conforme aux normes européennes et internationales du travail, mais elle a aussi admis la possibilité de ne pas appliquer ledit barème s’il n’assure pas une indemnisation adéquate au salarié.
Un contrôle in concreto est jugé possible afin d’apprécier si l’application du barème « ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché », sous réserve que ce contrôle ait été expressément demandé par le salarié (CA Reims 25-9-2019 n° 19/00003, SCP BTSG c/ X).
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt peu argumenté du 18 septembre 2019, a jugé qu’il convenait d’appliquer le barème dès lors qu’il permet d’accorder au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse une indemnisation appropriée à son préjudice, ce qui laisse entendre que dans un autre cas d’espèce, il serait possible de déroger au barème si l’indemnisation prévue apparaissait inappropriée (CA Paris 18-9-2019 n° 17/06676, Z c/ Sté GP Conduite).
La Cour d’appel de Paris a rendu un autre arrêt le 30 octobre 2019, qui a éclairci sa position (elle a d’ailleurs diffusé un communiqué de presse le jour de sa décision) : oui elle rejoint bien la Cour de cassation, non elle n’évoque pas la possibilité d’écarter le barème en cas d’atteinte disproportionnée aux droits du salarié (CA Paris 30-10-2019 n° 16/05602, X c/ Sté NATIXIS)
Nous sommes donc toujours dans une relative insécurité juridique :
- Quelle sera la position des autres Cours d’appel ?
- L’approche de la Cour d’Appel de Reims pourrait-elle recevoir l’aval de la Cour de cassation ?
- Quelles suites seront données aux réclamations portées par des organisations syndicales devant le BIT (Bureau International du Travail) et le CEDS (Comité Européen des Droits Sociaux) ?
Affaire à suivre …